05.00 AM
Une brume épaisse envahit lentement la vallée; les bois se noient, le silence est pesant. Au loin, une chouette pousse sa triste complainte. La forêt craque, grince. Des bruits à peine perceptibles montent vers le ciel laiteux, en des murmures humides.
En lisière de la muraille de hêtres, une maison blottie contre un talus. Une faible lumière s'échappe de l'intérieur. Les volets sont ouverts. La buée ruisselle contre les vitres. Des ombres zèbrent le halo qui se propage dans la brume.
La maison est occupée par quatre hommes. Ce sont des terroristes. Cachés depuis plusieurs jours dans cette bâtisse coupée du monde, ils rassemblent une dernière fois les éléments qui pourront leur permettre de frapper durement les militaires.
La table qui trône au centre de la pièce est recouverte de cartes, de plans et de petit matériel divers. Dans un coin, un gros sac à dos dort, appuyé contre un mur. Il soit servir à transporter la charge qui volatilisera, c'est certain, le pub où se rendent régulièrement les soldats.
L'heure est à la nervosité, même si tout semble correctement achevé et la tactique, aboutie.
On fume, on mange peu. Sous la garde d'un de leur camarade, les trois autres hommes s'accordent un peu de répit. Le poêle ronfle. On souffle un peu. Réunis autour de la table encombrée, on s'échange des regards qui en disent long sur la tâche qu'il faudra accomplir.
Tout semble suivre son cours normalement. Il n'y a eu aucun obstacle dans la préparation de l'opération. L'armée et les services de renseignements ne se doutent de rien.
Un toussotement étouffé parvient de l'extérieur. Le temps de relever la tête, un projectile entre en miaulant dans la pièce, en perçant violemment un carreau. Une grenade flash éclate en cognant contre un mur. Le bruit et la lumière sont terribles. Les trois hommes s'écroulent en rugissant.
Au même instant, la porte d'entrée sursaute et s'écrase sur le sol… Des silhouettes terrifiantes pénètrent de conserve dans la pièce. Des MP-5 sont braqués sur la tête des terroristes qui ne comprennent pas encore ce qui leur arrive. L'homme de garde, encore debout malgré la détonation de la flash-bang, esquisse un mouvement brouillon, un pistolet au poing. Un tir en double tap le cloue contre le mur et il tombe sur le parquet en un bruit mat.
Le groupe terroriste vient d'être neutralisé sans encombre par le Special Air Service.
Hypothétique, cette petite histoire s'inspire de faits qui ont existé, en Irlande du Nord, ou ailleurs sur la planète. L'exécution sans faille d'une telle mission repose sur le sang froid, le courage et, avant tout, sur une préparation matérielle, physique et psychique des hommes.
Mais en amont de toute action coercitive, à l'origine d'une interpellation dangereuse ou d'une opération commando, se trouve une opération de renseignement, une opération discrète et furtive destinée à trouver, identifier et suivre une cible (reco, filatures, caches, etc…).
La photographie tactique joue un rôle crucial dans ce renseignement d'origine humaine, le plus à même de délivrer des informations fiables, récentes, ou carrément en temps réel.
Observer, identifier et transmettre, voilà ce qui caractérise le mieux la photographie tactique.
Employée par toutes les Forces Spéciales du monde, qu'il s'agisse bien sûr des SAS/SBS, des Delta ou du 1er RPIMa, la photographie tactique est une des spécialités militaires les plus employées aujourd'hui dans les sphères de l'élite guerrière. Plusieurs unités très pointues la pratique d'ailleurs comme d'autres pratiquent l'Ordre Serré. C'est le cas du SRR britannique, du 185ème RAO italien, du GIGN et, bien entendu, de nos chers Dragons paras du 13 et du 2ème Hussards, pour ne citer que les plus connus.
La photo tactique, qu'est-ce que c'est?
La photo tactique est l'œil de l'opérateur qui va fixer ce qu'il voit et va permettre aux copains de l'arrière d'identifier ou pas la cible, d'infirmer ou de confirmer une action future, de suivre la dite cible ou de rapporter l'efficacité d'un bombardement. Mais son utilité ne s'arrête pas là.
Photographier en ambiance tactique peut avoir pour but de préparer le terrain, dans ce que l'on désigne comme un RFA, un Renseignement à Fins d'Action, lors de l'établissement d'un dossier de cible. On peut dès lors photographier un bâtiment, un véhicule, une rue, un domaine, et bien sûr, un homme, sous tous les angles, afin que ce qui traitent et exploitent ces informations visuelles puissent ouvrir la meilleure des routes aux équipes action.
C'est le quotidien des opérateurs des services clandestins, comme le Service Action français ou le chimérique "Increment" britannique, ou, bien entendu, le Mossad Israélien.
Commençons d'abord par démystifier la chose. La photographie tactique n'a rien de bucolique et ne se déroule pas, bien entendu, dans les mêmes conditions techniques que les photos du mariage du cousin Alfred. Si les moyens mis à la disposition des militaires font pâlir de jalousie les photographes civils et que la technologie de James Bond n'est plus de la science-fiction, il faut tenir compte du fait que la photo tactique est une activité qui ne souffre ni approximation ni mauvaise préparation.
Etre photographe dans le civil, pour fixer le sourire niais d'un communiant ou la main diabolique d'un footballeur français peu scrupuleux, c'est potasser et employer de la technique brute. Avec de la pratique, on arrive à du résultat.
Dans le monde du renseignement et de la guerre, le photographe doit avoir digéré les fondamentaux et les employer aussi facilement et inconsciemment qu'il se brosserait les dents, avec une maîtrise du stress et une furtivité de circonstance. Convenons-en, l'objectif d'un paparazzo et celui d'un soldat du 13 ou du SAS ne tournent pas avec la même sérénité.
Lorsque l'opérateur cadre son sujet pour en transmettre l'image dans la foulée au centre opérationnel pour exploitation, il n'est pas question de douter un seul instant sur le diaph ou la sensibilité à employer, ni s'emmêler les pinceaux avec la technique photo… C'est pareil pour un photographe professionnel civil, mais rater la photo d'un jockey qui se vautre sur une haie n'est pas aussi dramatique pour le genre humain que rater l'identification d'un taré qui projette de poser une bombe autour d'un terrain de volley.
Les fondamentaux de la photo
Des milliers de livres ont été écrits sur les fondamentaux de la photographie, qu'il s'agisse de capturer les premiers sourires d'un nourrisson ou le centième anniversaire de la mémé… La photographie est protéiforme et je ne vais pas trop m'étendre sur un sujet général, mais développer son côté "terrain".
La photo obéit à des règles basiques qui peuvent transformer, s'ils les avalent et les digèrent, un soldat lambda en agent de renseignement ou un abruti curieux en acteur de l'Histoire.
Après, tout n'est plus qu'une question d'automatismes.
Le boîtier
Il est évident, sauf en cas de proximité impossible ou impromptue, qu'on ne fait pas de la photo tactique avec un appareil compact, c'est-à-dire exempt de tout réglage manuel et qui accuse un retard au déclenchement. La plupart des clichés exploitables réalisés par des opérateurs spéciaux (noir ou khaki), le sont avec des appareils reflex, à savoir des boîtiers à objectifs interchangeables, avec une sacrée gamme de réglages manuels et qui n'accusent aucun retard au déclenchement. Il est essentiel et logique que le boîtier réagisse au doigt et à l'œil (certains modèles commerciaux ayant l'autofocus asservi à la rétine…).
Le boîtier n'est cependant pas le plus important.
La pierre angulaire de la photo, après le cerveau, la jugeote et bien sûr l'œil du photographe, c'est l'objectif.
L'objectif
L'objectif détermine la qualité et la précision de la photo. Les gammes existantes vont du 12mm au 1200 mm; au-delà, on photographie un moustique sur la Lune et on rentre dans le monde merveilleux de l'Astronomie et des télescopes. Ne rions pas, les FS et tout ce petit univers utilisent aussi des télescopes couplés à des appareils reflex lorsque les objectifs à traiter sont vraiment trop éloignés ou trop dangereux à approcher. Depuis quelques années se développe aussi la digiscopie, qui consiste à greffer une longue vue sur un boîtier compact ou reflex (méthode très employée par les ornithologues).
Pour s'y retrouver dans ce que l'on appelle les focales (c'est-à-dire, la distance séparant le plan de la pellicule ou du capteur du centre optique de l'objectif, les "mm"), un 50 mm correspond à la vue humaine, en terme de grossissement. C'est la focale favorite des reporters qui pratiquent la photo à la volée. Le 24mm cher aux paysagistes revient donc à élargir 2 fois le champ de l'œil humain, au risque de se photographier les orteils sans faire attention… Le 100 mm multiplie par 2 la vue humaine. Vous comprendrez donc qu'on ne photographiera pas les caries d'un taliban avec un 24 mm, mais plutôt avec un gros téléobjectif, à partir de 300 mm.
Les objectifs photos rentrent dans plusieurs catégories.
Les zooms, tout d'abord, qui sont des objectifs à focale variable, comme le 35-70 mm, le 24-105 mm… Ils peuvent être aussi médiocres qu'excellents. Là, tout dépend du prix et de la luminosité proposée, ce qui est souvent indissociable. La focale se règle par une bague rotative, et anciennement, par une bague-pompe (pompe à poussières, aussi).
Les objectifs à focale fixe, comme le 50 mm, le 300 ou le 500 mm (des paparazzi et des photographes de sports ou animaliers). Généralement, plus ils sont lumineux, plus ils sont chers et plus ils sont grossissants, plus ils sont lourds (env. 16 kg pour un 1200 mm). Ce sont les objectifs qui offrent la meilleure qualité d'image, le meilleur piqué (et les plus gros endettements...).
Le couple vitesse/ouverture
Le couple vitesse/ouverture correspond à l'équilibre entre vitesse d'obturation (vitesse à laquelle vous capturez votre sujet sur pellicule ou capteur) et diaphragme (iris artificiel de l'objectif qui détermine la quantité de lumière exploitable et la profondeur de champ).
La vitesse d'obturation d'un boîtier reflex varie généralement, dans les extrêmes, de 1/8000ème de seconde (hyper rapide) à 30 secondes de pose (très lente). En deçà, il y a la pose B (Bulb): l'obturateur reste ouvert tant qu'on le décide.
En dessous de 1/60ème de seconde, on parle de vitesse lente; au dessus de 1/125ème de seconde, on parle de vitesse rapide. En dessous de 1/30ème, un sujet mobile est immanquablement flou. Au dessus de 1/250ème, il est littéralement figé. Si on photographie un sujet mobile à une vitesse qui correspond à sa propre vitesse de déplacement, le sujet est parfaitement net, autant que son environnement direct.
En général, pour éviter le flou de bougé, ne descendez pas la vitesse en dessous de votre focale: avec un 200mm, ne faites pas de photo à moins de 1/200ème de seconde, etc.
Aujourd'hui, certains objectifs sont équipés d'un stabilisateur (silencieux) pour compenser les tremblements ou les mouvements involontaires du photographe. Ils permettent de photographier jusqu'au 1/15ème à mail levée, ce qui est une gageure… Un stabilisateur ne compense nullement les mouvements du sujet, bien entendu.
La valeur d'ouverture du diaphragme détermine donc l'entrée de lumière sur le capteur ou la pellicule et la profondeur de champ. Ses valeurs s'échelonnent de f/1 à f/22 (voire 29, 32 ou 45 pour les macros).
F/1 correspond à une profondeur de champ quasi nulle, mais une grande luminosité; f/8 et f/11 étant des valeurs moyennes et de référence, car elles sont les valeurs où les objectifs offrent généralement leur meilleur rendu. F/22 correspond à une très grande profondeur de champ, mais une faible entrée de lumière.
En gros, pour faire simple, prenez une lampe tactique type Maglite®, à faisceau réglable. Lorsque vous avez un large faisceau, vous avec beaucoup de lumière, mais vous n'y voyez pas loin. Inversement, en "vissant", vous éclairerez très loin, avec un faisceau très fin. C'est le principe du diaphragme photo. Beaucoup de lumière, peu de profondeur de champ.
La profondeur de champ
Plus la profondeur de champ est importante, plus la quantité de lumière qui rentre dans l'objectif est faible, plus la vitesse d'obturation est lente, pour compenser la faiblesse de la luminosité entrante. Donc, on s'expose à du flou de bougé.
La profondeur de champ détermine la zone de netteté du sujet. Elle est conditionnée, en optique, par la loi du deux tiers/un tiers. Lorsque qu'un sujet est photographié net, la photo sera nette un tiers de l'image devant lui et deux tiers derrière. Le rapport évolue en fonction de la distance qui sépare l'objectif du sujet. F/16 est une profondeur de champ élevée, mais elle sera relativement faible si votre sujet est un insecte photographié à 3cm et presque inutile et imperceptible si votre sujet est à 1 km. Le rendu peut simplement s'en trouver changé, notamment par un effet de tassement, avec des longues focales (300 mm et au-delà).
La mise au point (MAP)
La MAP peut être manuelle ou automatique. On parle alors d'Autofocus (AF).
L'AF est asservi au bouton déclencheur du boîtier et parfois, à un capteur rétinien qui permet de sélectionner le point de MAP dans le cadre (les collimateurs* du viseur se bloquant alors sur votre sujet en suivant votre seule rétine…).
L'AF permet de traiter quasiment tous les sujets, sauf les plus agités, ceux qui sont masqués, dans l'obscurité, ou encombrés (un fond de couleur uniforme empêche aussi l'AF de se caler). Il rame alors et ne se fixe pas. Il cherche sans trouver. Sur les reflex modernes, pas de déclenchement possible sans Autofocus fixé sur un point. Il reste deux solutions: passer en manuel et tourner la bague de mise au point jusqu'au point de netteté (on peut aussi caler un collimateur sur une zone et attendre que le sujet y passe), soit guider l'AF avec une lampe pilote. Certains appareils en ont, sinon, prenez une lampe torche et éclairez votre sujet lorsque c'est possible.
Si ce n'est pas possible, augmentez la sensibilité ISO du boîtier.
* collimateurs: petits carrés ou symboles géométriques destinés à viser ou sélectionner un sujet.
La sensibilité ISO
La sensibilité ISO est l'échelle de mesure de la sensibilité des surfaces sensibles (pellicule en photo argentique, capteur en numérique). Sur les appareils numériques pros, elle varie de 50 à 3200 ISO, 100 à 1600 étant la gamme ISO des appareils standards.
C'est là un des indiscutables avantages des appareils numériques sur les argentiques: pouvoir changer en un instant de sensibilité suivant les besoins, ce qui était impossible en argentique. Il fallait un boîtier pour chaque type de pellicule…
La sensibilité ISO détermine la sensibilité du capteur à la lumière ambiante. Plus la valeur est haute (à partir de 400 ISO), plus la surface exposée est sensible (capteur ou pellicule). En très faible lumière, on tape dans le 800 ou le 1600 ISO. La nuit, au-delà de 1600 ISO. En pleine lumière, on se contente de 100 à 200 ISO.
Un facteur est à prendre en compte. Les ISO élevés sont très réactifs à peu de lumière. Ils permettent donc de photographier en pleine lumière à des vitesses d'obturation très élevées, parce qu'une vitesse rapide exposera le capteur ou la pellicule sensibles très peu de temps. Une vitesse lente et trop de lumière= photo surexposée ou cramée. Beaucoup de lumière devra être captée en très peu de temps, ce qui est idéal avec des gros téléobjectifs, pour des sujets éloignés et/ou mobiles.
A contrario, une sensibilité ISO élevée se traduit par l'apparition de grain (argentique) ou de bruit (numérique). Plus l'ISO est basse, plus la définition est bonne. A 3200 ISO, la définition est médiocre, voire mauvaise. A 100 ISO, voire 50, elle est optimale pour la plupart des appareils.
La définition
La définition est le degré de finesse d'une image exprimée par son nombre de lignes ou de points.
En photo, on l'appelle le piqué. C'est la finesse de l'image, la qualité de son rendu.
Elle est déterminée, en numérique, par la taille du capteur, le nombre de pixels disponibles et en règle générale, par la qualité de l'objectif. Un objectif haut de gamme possède un piqué excellent à presque toutes les valeurs d'ouvertures, sauf aux extrêmes (ce qui concerne tous les objectifs).
La définition est toujours moins bonne à très courte ou très longue distance (à cause, entre autre, des aberrations optiques, de la perte de quantité de la lumière et des perturbations atmosphériques).
En numérique, évitez les capteurs inférieurs à 8 MPixels.
Les fondamentaux de la photo tactique
Le major P. de la MMFL de Potsdam en attente, quelques part en RDA en 1982.
Appareil photo Nikon F2 moteur.Objectif 1000 m/m à miroir.
Avec l'autorisation de l'auteur.
En photo tactique, le sujet est généralement éloigné pour des raisons périlleuses ou parfois, pour des raisons physiques. En conséquence, il convient de suivre quelques principes de base et de les combiner entre eux pour obtenir la bonne recette:
Boîtier: compact pour une photo inopinée et de proximité. A avoir dans la poche en permanence. Penser à neutraliser le flash en le désactivant ou en mettant un bout de scotch pour éviter qu'il ne sorte et ne se déclenche accidentellement.
Reflex pour tout autre type et condition de prises de vues. Préparer ses réglages à l'avance. A courte et moyenne distance, optez pour un boîtier léger, facile à dissimuler. Avec un objectif lourd, prenez du reflex viril avec une baïonnette* métal pour éviter sa déformation.
*Baïonnette: point d'encrage du boîtier pour l'objectif.
Objectifs: à courte et moyenne distance, privilégiez un zoom, de préférence à bonne ouverture initiale (ex. un 28-105mm f/2.8 ou f/4). Il permet de traiter efficacement le sujet, en cas d'éloignement ou de rapprochement intempestif et reste facilement escamotable en cas de souci. A longue distance, vous n'avez pas le choix, il faut un téléobjectif (même si les zooms sur écran d'ordi peuvent rendre d'inestimables services).
Après, tout dépend du besoin et de la nature de votre mission. Identifier un site ne demande pas forcément autant de précision que l'identification formelle d'un individu dangereux. On n'est pas obligé d'avoir un 800 mm si on photographie une installation depuis une voiture, à 200 m, pour déterminer ou non, s'il s'agit d'un aéroport ou d'un skatepark…
Le couple vitesse/ouverture et la profondeur de champ : là encore, tout dépend de la distance qui vous sépare de votre sujet/cible. Privilégiez les vitesses rapides pour éviter tout flou de bougé, surtout si votre sujet marche rapidement ou est agité de tics nerveux spasmodiques. On n'envoie pas les SAS dévaster sa "cabane au fond des bois" si on a pris Line Renaud pour une terroriste de l'IRA à cause d'une photo floue… Une vitesse d'obturation élevée garantit la netteté du sujet.
La profondeur de champ n'intervient que peu, surtout si vous êtes loin. Dans le cas contraire, à moins que plusieurs sujets ne soient réunis dans votre cadre et que vous devez profiter de l'aubaine pour "shooter" tout le monde net, ce n'est pas un facteur très important. L'identification d'une cible humaine se faisant à bonne distance, il est rare de se préoccuper de la profondeur de champ.
La mise au point: en ambiance tactique, on se fout des règles d'or du cadrage qui rendent les photos si artistiques et agréables à l'œil. Le dernier souhait d'un hostile est de se faire tirer le portrait par un paparazzo gouvernemental. Vous pouvez décemment vous autoriser un cadrage qui ne rentre pas dans les annales des Beaux-Arts. Choisissez un collimateur en fonction de la place que votre cible risque d'occuper ou occupe dans votre cadre. Bloquez ce collimateur et ne bougez plus votre index du déclencheur. Shootez à la moindre occase. Ne lésinez pas sur les prises de vues. Un tatouage déterminant se cache parfois derrière l'oreille gauche du méchant et un détail peut être essentiel sur la façade d'un édifice ou la carrosserie d'une voiture. Plus on a d'infos, moins on se plante. Encore faut-il que ces infos soient lisibles et compréhensibles par les copains qui attendent à l'arrière.
La sensibilité ISO: assez élevée, élevée, très élevée. Rien d'autre. Avec un reflex standard (encore mieux avec un pro), et avec une maîtrise parfaite des fondamentaux vitesse/ouverture, vous ne devriez pas trop mal exposer vos photos. Même si le terrain change, et avec lui, la lumière, montez dans les ISO, pour conserver la possibilité de shooter à haute vitesse (net). Comme en planque on n'est pas à la plage, même en plein soleil, ne descendez pas en dessous de 200 ISO. Priorité à la netteté. C'est le détail qui est important. Adaptez-vous.
La définition: là encore, c'est une affaire de détails. A 3200 ISO, à 3 km, la définition sera incomparablement plus mauvaise qu'un sujet pris à 300m à 400 ISO. C'est la mission et la distance qui doivent graduer la sensibilité ISO, à savoir qu'a longue distance, la définition est toujours moins bonne (perturbations atmosphériques).
C'est la différence entre compter les invités d'une réception et les identifier un par un… Compter: pas besoin de trop de détails, donc, définition passable acceptée (déf.>800 ISO). Identifier: besoin du maximum de détails, donc, définition optimale demandée (déf.<800 ISO).
Le matériel complémentaire à la photo tactique
Lorsqu'on part sur le terrain pour du recueil photographique, il est évident que le couple boîtier-objectif doit être secondé par du matériel de taille et de destination diverses, pour que l'opération ne se transforme pas en fiasco.
Tout photographe qui se respecte, qu'il soit un amateur ou un grand nom, s'est retrouvé au moins une fois dans sa carrière photo, en galère, parce qu'une partie de son matos a été oublié à la maison ou au bureau.
Certes, on peut partir avec un boîtier et un objectif et faire des vues, mais le confort et l'amplitude n'en seront que très limités.
Sans pour autant partir avec la logistique du corps des Marines, il est fortement recommandé de prendre le temps de faire le point sur le matériel indispensable pour une sortie photo, surtout si elle se déroule dans une ambiance tactique.
Les piles: ayez toujours (j'insiste) au moins un jeu de piles de rechange sur vous. Il est trop bête de se retrouver en rade d'énergie, parce que, croyez-moi, ça arrive toujours au plus mauvais moment. Par temps froid, gardez ce jeu de piles supplémentaires bien au chaud contre vous, dans une poche intérieure. Ne le collez pas à votre peau, surtout si vous suez comme un crapaud-buffle.
Les filtres: indispensables à la photo de paysage ou à la photo d'art, ils ne sont pas indispensables en photo tactique, sauf en milieu où la lumière est maximale, comme la mer, la montagne, le désert et la neige. De plus, régler un filtre vous impose un mouvement supplémentaire (gênant, en planque), car il fonctionne souvent par vissage/dévissage et se trouve en bout d'objectif, sur la lentille.
Par contre, vu le prix des objectifs, montez à demeure un filtre UV sur la lentille frontale (testez sa neutralité chromatique sur une feuille blanche); cela vous évitera, au cas échéant, une fissure ou un bris de la lentille si quelque chose y tape violemment. Mieux vaut un filtre cassé qu'un objectif HS. Il y a quelques années, un photographe pro a perdu son objectif à cause d'un gravier propulsé par les rotors d'un hélico, au Salon du Bourget… à méditer.
Le pare-soleil: en plus d'éviter les reflets et les prismes qui défigurent et perturbent une photo, ils servent de protection à la lentille frontale et réduisent sa réflexion, surtout pour les gros téléobjectifs. Si par mégarde, votre objectif heurte quelque chose, c'est souvent le pare-soleil qui trinque. Assurez-vous, par contre, que le PS n'assombrisse pas les coins de l'image, produisant ainsi du vignetage.
Film ou carte-mémoire: emportez-en plus qu'il n'en faut. Mieux vaut trop que pas assez. On ne sait jamais ce qu'il peut se passer quand on tient un sujet dans son viseur, sauf s'il s'agit d'un mammouth congelé depuis 20.000 ans…
Les pellicules déroulent bien plus vite qu'on ne le pense, et les cartes SD ont tendance à se comporter comme les piles… surtout s'il fait froid.
Les supports: si votre appareil est un compact ou un petit reflex de poche, vous pouvez vous permettre de faire des dizaines de photos sans vous faire une tendinite. En revanche, si c'est un reflex pro avec un "caillou" (objectif) de 300 mm monté dessus, vous allez vite le sentir passer, à moins que vous n'ayez les bras du professeur Banner lorsqu'il passe au vert.
Même s'il est stabilisé, avec les vues qui passent vous allez céder aux tremblements qui vont affecter la netteté de l'image. Donc, appuyez-vous.
Si vous réalisez vos photos à proximité d'un objectif contraignant et que vous devez agir discrètement, il ne s'agit pas, bien sûr, de sortir un trépied de photographe du 19ème siècle.
Tous les appuis sont bons (murs, arbres, rampes, portières de voitures, vitres baissées, dos d'un collègue, etc.)
Depuis une voiture ou une position allongée, pour encore plus de stabilité, vous pouvez utiliser un Bean Bag ("sac de haricots"). Ne prenez pas ce nom au pied de la lettre, les haricots, comme toutes les semences, sont à bannir d'un sac d'appui, parce qu'elles germent, pourrissent et pèsent trop lourd. Prenez un sac ou une poche artisanale qui doivent fermer de manière totalement étanche. Un zip est parfait pour compléter ou renouveler le remplissage. Remplissez votre bean bag de billes de polystyrène. Pour ma part, je ne recommande pas autre chose, car c'est le meilleur compromis prix/poids/durée/conservation/silence. Attention, le polystyrène est ultra-toxique pour l'environnement aquatique. Ne le semez pas.
Un bon bean bag peut même vous servir d'oreiller s'il ne cède pas à la pression. Remplissez-le au 9/10 èmes, de manière à ce qu'il épouse la forme de tout ce que vous allez poser dessus (objectif, tête, arme, ou autre, pour les amateurs…).
Pour les trépieds, ils sont recommandés pour la prise de vue à longue ou très longue distance, là où le danger direct est absent et quand le poids du matos vous l'impose. Avec un reflex pro couplé à un gros télé, vous atteignez ou dépassez 5/6 kilos comme qui rigole.
Petite chose à savoir: jusqu'à une focale de 200 mm, la plaquette de fixation rapide du trépied se visse sous le boîtier. Au-delà de 200 mm, elle se visse sous le collier de l'objectif. N'oubliez pas le risque de déformation de la baïonnette induit par un objectif trop lourd…
Enfin, pour le trépied, choisissez-le avec soin, en tenant surtout compte du poids qu'il peut supporter et de sa versatilité. Pas de trépied aux branches reliées (on n'est pas à Windsor).
Les blimps: ce sont des manchons anti-bruits qu'on peut trouver dans le commerce ou qu'on peut faire soi-même. Ce serait bête de s'en priver lorsque la compromission est envisageable en situation tactique. Le blimp est un manchon qui épouse correctement la forme de votre appareil. Vous pouvez vous en confectionner un avec une manche de doudoune. Ce n'est pas un accessoire indispensable, mais utile à proximité d'un sujet dont il ne faut pas attirer l'attention.
Les appareils "abandonnés": Ils interviennent lorsque la discrétion d'un photographe est encore synonyme de tapage… Là, pas question de proximité durable ou de gros téléobjectif: la zone est trop sensible, les "sujets", trop actifs et méfiants. Trop imprévisibles, aussi.
A leur manière, les appareils photos deviennent des capteurs abandonnés, comme des mouchards.
Ce type d'appareils fonctionne par onde radio ou rayon infrarouge. Un opérateur peut le déclencher à bonne distance ou, plus simplement, le poser, le laisser faire, et le récupérer plus tard, exactement comme le ferait un photographe animalier à la recherche d'un animal ultra discret (léopard des neiges ou lynx, par ex.).
Un appareil à cellule infrarouge se déclenche lorsque le faisceau de la cellule est "coupé" par quelque chose qui passe devant. La photo est prise à l'insu du sujet, surtout s'il n'y a pas de flash…
Un appareil "abandonné", généralement un compact pré-réglé sur la zone visée, doit impérativement être dissimulé dans le décor et ne faire qu'un avec lui. De récentes photos publiées dans la presse spécialisée montrent quelques exemples du génie du 13ème RDP lorsqu'il s'agit de maquiller son matos photo sur le terrain: parpaing, fausses souches, fausses pierres, etc. Tous les moyens sont bons pour photographier sans risque les "vilains pas beaux" qui peuplent la planète. Et ces derniers sont loin de se douter de que quelque part, un tronc d'arbre leur tire le portrait…
Ces méthodes sont très employées, notamment pour tout ce qui touche au renseignement humain en zone urbaine ou péri-urbaine, là où il est très difficile pour un opérateur de durer sur le terrain sans se faire repérer.
Les housses, courroies et protection diverses: le commerce fourmille de ces accessoires qui sont faits pour vous soulager et augmenter le confort des prises de vues. Déambulez avec un boîtier pro et son 300 avec la courroie d'origine autour du cou et vous comprendrez vite. Il existe des super produits, confortables et abordables, ne vous en privez pas. Tout ce qui peut augmenter le confort et la protection du matos est bon à prendre.
Beaucoup d'éléments peuvent endommager votre précieux matériel. C'est encore plus dramatique lorsqu'il vous appartient en propre.
Les ennemis du matériel photo :
On se doute bien qu'il faut protéger son matos d'une chute ou d'une noyade définitive, encore plus d'un bombardement au phosphore blanc…
Mais il est des ennemis insidieux qui se cachent autour de nous, prêts à sévir comme des blattes vindicatives. Il faut impérativement les tenir éloignés du matériel, si on veut le faire durer. C'est encore plus vrai en ambiance tactique, si vous devez rester quelque temps sur une même zone, quelle qu'elle soit.
Le sable: le grand ennemi du matos photo. Un grain qui se fiche dans un boîtier peut le foutre en l'air. Pareil pour un objectif. Le sable rentre partout. Ne lésinez pas sur les protections. Même si votre appareil possède des joints toriques d'origine, le sable le menace. En ambiance sableuse, n'hésitez pas à passer du ruban adhésif sur ces mêmes joints et sur tout ce que l'appareil compte de jointures (sauf les bagues mobiles de l'objectif). Enveloppez-le dans un sac maison qui ne laissera passer que le bout de la lentille. N'exposez que le nécessaire. Tant que le matos fonctionne, pas besoin de prendre des risques. Ne vous laissez pas tenter par un nettoyage à la soufflette en plein désert… Il n'y aucun appareil aussi fiable qu'une AK47, et c'est encore plus vrai depuis qu'ils sont bourrés d'électronique. Mettez-le dans un cocon, pour ce qui est du sable. Si vous devez changer de piles ou de carte, faites-le vite et avec un max de protection. C'est le principe des contraintes tactiques.
L'eau: A moins qu'il ne soit tropicalisé, c'est-à-dire équipé de joints toriques performants, il ne faut pas exposer le matos à l'eau. Un boîtier tropi est plus déperlant que véritablement étanche. Si vous voulez faire de la photo sous-marine, prenez du matos adapté (caisson…).
La pluie et l'eau douce ne sont pas les pires. Elles ne sont pas corrosives. L'eau salée est vraiment mauvaise. Un de mes boîtiers a survécu à une chute en rivière, mais n'aurait pas survécu à la même chute dans la mer. Le sel ronge et brûle. Les embruns marins collent et rongent. Nettoyez-les régulièrement. Par contre, si l'appareil tombe dans de l'eau salée… nettoyez-le en le plongeant dans un bain d'eau douce, pour le débarrasser du sel et séchez-le délicatement avec un souffle régulier d'air doux. C'est parmi les pires incidents qui puissent arriver.
Le froid: il peut littéralement engourdir l'électronique de votre appareil. Lors d'une prise de vues en conditions froides ou polaires, gardez votre appareil au chaud au creux de votre veste. Ne le sortez que pour de bonnes raisons, pour cadrer et shooter. Il se peut que les piles se déchargent très vite et que certaines options soient perturbées. C'est le propre de l'électronique face au froid intense. Avec les vieux appareils mécaniques, il n'y avait pas ces soucis, mais les pellicules pouvaient se casser comme du verre si les températures tombaient très bas.
Lorsque vous rentrez d'une sortie dans le froid, laissez votre appareil dans sa housse se réchauffer tranquillement. Si vous le passez d'un coup du froid au chaud, il va se charger de condensation, à l'extérieur comme à l'intérieur. Attention, c'est tenace et très mauvais pour l'électronique.
La chaleur: comme le froid, il faut éviter de coller son matos à des sources de chaleur intenses ou de le laisser mûrir en plein soleil. Des circuits surchauffés sont aussi endommagés que des circuits glacés, et les dégâts sont souvent irréversibles. C'est de l'électronique, pas de la mécanique…
Le flash: et oui, en photo tactique, c'est pire qu'un ennemi. Autant vous suicider, ça vous évitera les souffrances de la capture. Soyons sérieux… n'oubliez pas de mettre l'anti yeux rouges, si vous dénichez Ben Laden.
En conclusion:
Les fondamentaux de la photographie tactique changent peu des fondamentaux de la photographie généraliste, mais ils doivent être absolument maîtrisés et digérés, au point de n'être plus que des réflexes. C'est exactement comme le tir. Ce n'est pas à deux heures d'une bataille qu'on apprend à tirer. On a vu le résultat pendant la Première Guerre Mondiale ou sur le Front Russe…
La photographie tactique doit être réalisée par des opérateurs qui sont avant tout des photographes, passionnés et soucieux de leur matériel. C'est une spécialité à part entière, exactement comme le sniping ou l'appui aérien avancé.
C'est prendre soin de son matériel, le maîtriser comme on maîtrise son bras, l'utiliser de manière optimale, en tirer toute la quintessence, en l'associant à d'autres techniques, comme le camouflage, la construction de postes d'observation, la transmission d'image cryptées par satellite, etc.
La photo tactique est un des piliers du renseignement militaire et policier. Elle ne se démodera pas de sitôt et ne sera détrônée que lorsque l'homme cèdera sa place à un système artificiel susceptible de le remplacer totalement.
En attendant, seul un photographe expérimenté est capable de choisir une cible et d'appréhender son importance, de la traiter avec plus ou moins de considération, suivant les objectifs définis. Seul un photographe derrière son télé est capable de reconnaître le visage d'un terroriste qui n'as plus de barbe ou qui s'est coupé les cheveux. A lui de confirmer ou d'infirmer une future action coercitive.
Une équipe action qui débarque dans la planque de terroristes au milieu de la nuit ou à l'aube ne le fait qu'après une récolte et une exploitation minutieuse de renseignements de toutes natures. La photographie est primordiale dans cette récolte.
Elle se fait au prix de longues périodes de planque, pénibles, inconfortables et parfois très risquées. Les contraintes de la proximité d'un site ou d'un individu dangereux augmentent considérablement lorsqu'on rajoute celles liées à la photo.
C'est le quotidien des soldats spécialistes, ceux qui doivent maîtriser tant de facteurs complémentaires à leur dur métier.
N'oubliez jamais qu'un hostile qui mord la poussière sous le genoux d'un SAS ou d'un gendarme du GIGN a eu, au moins une fois au cours de l'opération qui vise à le neutraliser, son visage cadré dans le viseur d'un appareil photo…
Le Phasme
07 janvier 2010